vendredi 10 septembre 2010

Peindre sa vérité

   Frida Kahlo (1907-1954), comme je l'ai écrit précédemment en parlant de Vincent van Gogh, a eu une vie bien tourmentée, c'est le moins que l'on puisse dire, entre maladies, douleurs physiques et souffrances morales. Mais outre le fait que son histoire soit intéressante à raconter pour ce blog, Frida Kahlo est une artiste très importante à mes yeux et ce pour différentes raisons : les principales sont que c'est avec elle qu'a commencé ma passion pour l'art et l'Histoire de l'art, mais c'est aussi elle qui m'a incité à m'orienter vers une carrière artistique.
   Il y a deux ans, lors de mon passage à l'épreuve d'Histoire des arts du Bac, j'avais présenter un dossier sur Frida Kahlo autour de son célèbre tableau Les Deux Frida (1939). Comme de fait ce dossier colle parfaitement au thème de ce modeste blog j'ai décidé de l'y retranscrire. Bien sûr il y aura d'autres articles sur Frida, il y a tellement de choses à dire sur son oeuvre et sa vie (les deux étant étroitement liés), que je ne peux bien sûr pas tout mettre dans un article : ce serait trop long, vous ne le lirez pas et je l'aurais écrit pour rien !
Les Deux Frida - Frida Kahlo - 1939

   Les Deux Frida (huile sur toile; 173 x 173,5 cm), qui est aujourd'hui exposé au Museo de Arte Moderno de Mexico, fut réalisé par l'artiste mexicaine Frida Kahlo en 1939 alors qu'elle était en plein divorce d'avec son mari, le muraliste Diego Rivera. Ce double autoportrait, qui évoque une période difficile de la vie du peintre, peut déranger à cause des questionnements qu'il soulève, de l'aspect très personnel dont il relève, ou encore par l'atmosphère oppressante qui en émane.

   Après une exposition à Paris, en cette année 1939, Frida quitta la capitale Française pour rejoindre son pays natal après avoir fait, entre-temps, un arrêt à New York. Cette année marqua la fin de sa relation extraconjugale avec le photographe Nickolas Murray, qui avaient tous les deux vécu une véritable passion l'un pour l'autre. Cette séparation provoqua une déchirure chez le peintre d'autant plus que son ex-amant la remplaça par une autre femme. Mais l'évènement important de 1939 est le divorce de Frida d'avec Diego Rivera le 6 Novembre 1939 avec qui l'artiste était mariée depuis 1929. C'est un mariage qui avait d'ailleurs scandalisé les proches de Frida car Diego Rivera était connu pour être volage (il avait eu plusieurs femmes avant Frida et avait déjà des enfants) ; de plus il y avait une différence d'âge assez importante puisque 21 ans les séparaient. Il s'agissait d'un mariage d'un homme laid et imposant avec une jeune femme fragile, d'un « éléphant et d'une colombe ».
Cependant on ne connaît pas vraiment le motif réel de ce divorce, on n'a seulement des témoignages de proches mais aucun des avis n'est convaincant : il est possible que Rivera ait eu vent de la relation entre Frida et Nickolas Murray, ce qui l'aurait rendu furieux, certains prétendent que la fragilité physique de Frida ne suffisait pas à Rivera pour rassasier son appétit sexuel, d'autres disent que Rivera était impuissant ou encore que la séparation de Frida et Rivera fut causée par l'ex-femme du muraliste, Lupe Marin, qui y était toujours liée ne serait-ce que par les enfants qu'ils avaient eu ensemble.

   Mais si on ne connaît pas vraiment les causes du divorce des deux artistes, on connaît en revanche les conséquences qu'il a eu sur Frida. Le critique d'art MacKinley Helm raconte à ce sujet : « En ce jour de décembre de l'année 1939, où arriva une série de papiers prenant acte du divorce d'avec Rivera, je pris le thé avec Frida Kahlo de Rivera dans l'atelier de sa maison natale. [...] Frida était extrêmement mélancolique. Elle dit que ce n'était pas elle qui avait exigé la dissolution du mariage, mais Rivera. Il avait essayé de lui démontrer qu'une séparation vaudrait mieux pour tous deux et l'avait persuadée de le quitter. Il n'avait toutefois absolument pas pu la convaincre qu'elle serait heureuse et que sa carrière progresserait une fois qu'elle se serait séparée de lui. » Il est clair que le divorce créa à Frida d'énormes difficultés et lui causa beaucoup de peine. Henriette Begun écrivit dans son bulletin de santé : « Elle boit de grandes quantités d'alcool par désespoir. » Mais sa solitude entraîna chez Frida une activité intense : elle peignit beaucoup de tableau durant cette période notamment le double autoportrait 
Les Deux Frida.

   Par rapport à ce qu'avait l'habitude de peindre Frida Kahlo, 
Les Deux Frida est d'un format assez grand (173,5 x 173 cm). Sur ce tableau on y voit deux portraits du peintre assis sur un banc mais chacun étant vêtu différemment. Devant un ciel menaçant, les deux Frida, main dans la main, sont liées par une artère qui relie leurs cœurs, l'un, celui de gauche, étant disséqué. Tandis que la Frida de droite tient un petit portrait de Diego Rivera, son ex-mari, enfant, la Frida de gauche semble essayer de retenir avec une pince l'artère qui se vide de son sang sur la robe blanche.


   La singularité du tableau réside dans plusieurs éléments, mais surtout dans le fait qu'il s'agisse d'un double autoportrait, ce qui est peu commun en art. Chaque portrait représente une facette différente de Frida Kahlo. La Frida de droite, habillée en robe Tehuana, robe mexicaine traditionnelle qu'adorait le peintre, représente la version mexicaine de Frida, celle que Diego aime et c'est aussi celle qui tient son portrait entre ses doigts. La Frida de gauche, habillée en robe blanche, peut représenter la version européenne de Frida (dont le père, Wilhelm Kahlo, rebaptisé Guillermo Kahlo après son installation au Mexique, était d'origine allemande) comme on l'a si souvent dit, bien qu'à l'époque le port de robe blanche à col cheminée en dentelle était aussi bien à la mode au Mexique qu'en Europe. Il s'agit de celle qui a le cœur endommagé. Bien souvent on a déclaré que cette version de Frida était celle que Diego aimait le moins, en opposition à la Frida de droite, mais cette analyse est peu probable puisque Rivera avait beaucoup voyagé en Europe et appréciait Paris. Dans son Journal au chapitre « Origines des 
Deux Frida » qui explique ce qui l'a poussé à faire ce tableau, Frida évoque son amie imaginaire qu'elle s'inventait lorsqu'elle avait des problèmes. La Frida en robe blanche se serait donc inventé la Frida en robe Tehuana lors de périodes difficiles. On remarque sur la Frida de gauche que les tâches de sang viennent se mêler aux motifs de la robe qui les rend, du coup, plus discrètes et plus ambiguës. Cet élément peut renvoyer au fait que Frida Kahlo cachait ses blessures et sa souffrance.
Autre caractéristique troublante du tableau : le portrait de Diego. On voit bien que l'artère fait office de cadre à la photo miniature que tient la Frida de droite. Cette miniature devait avoir son double dans la main de l'autre Frida mais elle semble avoir été arrachée. C'est pourquoi Frida tente de stopper l'hémorragie avec sa pince, mais le sang coule encore. Ici c'est la métaphore la plus frappante de la conséquence qu'a eu le divorce sur le moral de Frida : elle se vide de tout espoir comme la Frida en robe blanche se vide de son sang.


   Dans le Journal qu'elle tenait, Frida y a décrit la signification des couleurs dans ses tableaux. Certaines peuvent nous aider à expliquer 
Les Deux Frida. Nous nous concentrerons sur les couleurs que portent la Frida de droite car les autres couleurs ne sont pas décrites dans le Journal de l'artiste. Voici ce qu'elle écrit :
« (Bleu) Electricité et pureté. Amour.
(Jaune) folie, maladie, peur. Part du soleil et de la joie.
(Jaune verdâtre) davantage de folie et de mystère. Tous les fantômes portent des vêtements de cette couleur, ou du moins des sous-vêtements.
(Bleu) distance. La tendresse elle aussi peut être de ce bleu-là.
(Rouge) sang ? Eh bien, qui sait ? »
En appliquant ce code couleur on remarque que sa signification n'est pas loin du contexte dans lequel a été peint le tableau, au contraire. La robe que porte la Frida de droite est de couleur jaune voire jaune verdâtre, bleue et verte. La Frida imaginaire porterait donc les couleurs de l'amour mais aussi celles de la folie, de la distance de la peur et des fantômes. Des sentiments que Frida Kahlo a pu éprouvé pendant cette période sombre. Comme dit précédemment, c'est la Frida de droite, la Frida imaginaire, qui porte ces couleurs, ses sentiments, ceux qu'a causé le divorce et ceux dont Frida aimerait se débarrasser. L'autre Frida ne porte que du blanc, couleur qui n'est pas décrite dans son Journal, mais un blanc maculé de rouge, symbole (supposé) du sang.
   C'est grâce à des éléments de la vie de Frida Kahlo, comme son Journal, mais aussi aux travaux d'historiens de l'art et de psychologues qu'on a pu déceler différents codes des tableaux du peintre, particulièrement ceux du plus énigmatique, 
Les Deux Frida. Mais face aux nombreuses interprétations qu'on a pu faire sur ce tableau, seule l'artiste connaît la réelle la véritable signification du tableau, elle qui peignait ce qu'elle ressentait au plus profond d'elle-même.



mercredi 1 septembre 2010

Sous extase

   Il y a des artistes qui ont le chic pour avoir des vies vraiment pourries comme Van Gogh dont j'ai parlé précédemment, Frida Kahlo dont je parlerai prochainement ou encore Séraphine Louis (1864-1942) ou Séraphine de Senlis dont je vais parler... devinez quand ! Maintenant ! Bravo !
Comme moi vous avez peut-être découvert cette artiste singulière à travers le très bon film de Martin Provost, Séraphine, qui est interprétée par Yolande Moreau (qui habite tout près de chez moi) toute aussi singulière d'ailleurs !
Fleurs et fruits - Séraphine -
vers 1920
   Séraphine Louis est née le 3 spetembre 1864 à Arsy, dans l'Oise. A peine a-t-elle un an qu'elle est déjà frappée par une tragique destinée puisque sa mère, d'origine paysanne, meurt le jour de son anniversaire en 1865. Son père, remarié, meurt alors qu'elle n'a que 6 ans. Orpheline elle est élevée par sa soeur aînée. Plus tard elle devient bergère puis domestique et enfin se retrouve femme de ménage à Senlis en 1901.
   Plus tard elle commence à peindre dans le plus grand secret, sans aucune éducation artistique. C'est d'ailleurs comme ça qu'est né l'art naïf : c'est un courant né de gens qui ont commencé à peindre par plaisir, sans être allés en école d'art ni avoir reçu de cours quelconques mais ayant tout de même réussi à percer dans ce milieu comme le Douanier Rousseau par exemple.
   Séraphine aurait peint sous extase ! Mais non, pas sous ecsta, sous extase !!! Très croyante, elle a consacré sa vie à la Vierge Marie et en a sacrifié sa vie sexuelle... Sa peinture serait comme une expiation de visions mystiques et une libération de ses souffrances, ce qui donne a ses tableaux une force, une puissance et une charge émotionnelle alors qu'elle ne peignait que des arbres, des fleurs et des fruits. Les couleurs qui explosent et la lumière divine sont à l'origine de cette intensité picturale. Moi qui ne suis pas très nature morte, je reste sans voix quand je vois ce que cette femme a pu voir et créer.
L'arbre du Paradis - Séraphine - 1929
Séraphine Louis est remarquée par un collectionneur d'art allemand, Wilhelm Uhde, installé à Senlis au début des années 1910. Reparti en Allemagne il ne s'occupe de l'artiste qu'à partir de 1927 en lui apportant soutien. Deux ans plus tard il expose quelques oeuvres de Séraphine rencontra un grand succès et qui lui apporta une certaine aisance financière (qui va très vite disparaître à cause de son tempérament dépensier). L'année suivante son mécène Wilhelm décide de ne plus lui acheter de tableaux à cause de la crise économique, la Grande Dépression. Séraphine va elle aussi sombrer dans une grande dépression, puis la folie, qui la mèneront à l'hôpital psychiatrique de Clermont en janvier 1932. Elle ne peindra plus jamais.
   Le 11 décembre 1942, Séraphine meurt à cause de sous-nutrition due aux conditions de vie sous l'occuptation allemande. Elle est enterrée dans une fosse commune.

Comme quoi on peut venir d'un milieu pauvre, avoir une éducation très limitée et peindre des tableaux de malades (sans mauvais jeu de mots). Reste à savoir ce que Séraphine a vu pour créer de pareils chefs-d'oeuvres...
Bouquet de feuilles - Séraphine - 1929-1930